L’employeur reconnu victime des agissements de harcèlement moral de son salarié
Il est des arrêts de la Cour de cassation dont on ne sait pas a priori s’ils constitueront un tournant jurisprudentiel ou s’ils représenteront à l’avenir une curiosité juridique momentanée.
L’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 14 novembre 2017, n° 16-85161, relève de cette catégorie là.
Cependant, quelques indices laissent à penser que cet arrêt sera majeur tant semble se dessiner une modification jurisprudentielle importante au sujet de l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur.
En effet, d’une part cet arrêt est publié au bulletin, privilège accordé aux arrêts destinés à bénéficier d’une portée large, et, d’autre part, il s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel emmené par les Chambres sociale et criminelle de la Cour de cassation.
Ce mouvement jurisprudentiel peut être identifié par la mise en cohérence des arrêts de la Chambre sociale du 25 novembre 2015, n° 14-24444 et du 1er juin 2016, n° 14-19702 avec celui de la Chambre criminelle du 14 novembre 2017.
Avec ces arrêts, la Cour de cassation est venue apporter un peu de nuance dans la répartition des responsabilités civiles ou pénales entre salariés et employeurs en cas d’agissements de harcèlement moral entre salariés.
Jusque là l’employeur était nécessairement responsable, tant civilement que pénalement, des agissements de son salarié harceleur au titre de son obligation de sécurité de résultat.
En matière civile, un premier assouplissement de l’obligation de sécurité de l’employeur est donc intervenu par l’arrêt du 25 novembre 2015.
La Chambre sociale de la Cour de cassation avait alors considéré que l’employeur respectait son obligation de sécurité, malgré la survenance d’un accident du travail, dès lors qu’il avait pris l’ensemble des mesures prévues par les articles L 4121-1 e L 4121-2 du Code du travail, nécessaires à assurer la protection de la santé physique et mentale des salariés.
Une telle appréciation de l’obligation de sécurité a été ensuite appliquée en matière de harcèlement moral par l’arrêt du 1er juin 2016.
Cet arrêt était même un véritable vade-mecum à l’intention des employeurs, la Cour de cassation décrivant précisément (ce qui n’est pas vraiment son habitude) les mesures, drastiques, que l’employeur devait prendre pour respecter, en toute hypothèse, son obligation de sécurité en matière de harcèlement moral.
J’avais d‘ailleurs écrit un précédent article à son sujet que vous trouverez dans mon blog.
A l’aune de ces deux décisions l’objectif de la Cour de cassation semblait être uniquement de redéfinir l’impérativité de l’obligation de sécurité dite « de résultat » incombant à l’employeur.
Cela répondait au constat que le rigorisme de l’obligation de résultat avait un effet pervers que l’on pouvait résumer ainsi : à quoi bon respecter des mesures de sécurité et de prévention à la lettre si, en cas d’accident ou de harcèlement, la responsabilité de l’employeur était systématiquement engagée ?
Il s’agissait donc de « récompenser les bons employeurs » en les exonérant de toute faute même en cas d’accident ou de harcèlement sous la réserve (très) importante de leur parfaite application des règles prévues.
En matière pénale, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avec cet arrêt du 14 novembre 2017 ajoute sa pierre à cet édifice, en permettant de reconnaître à l’employeur le statut de victime des agissements de harcèlement moral de son salarié à l’égard de ses collègues de travail.
La Cour de cassation valide le raisonnement de la Cour d’appel de Fort de France qui avait accordé des dommages et intérêts à l’employeur au motif de l’atteinte portée à son image par le salarié harceleur auprès des autres salariés.
C’est une solution totalement inédite car le salarié n’avait pas été licencié pour faute lourde, jusque là seule intensité de faute, définie par l’intentionnalité de nuire à l’employeur, à même d’engager la responsabilité du salarié à l’égard de l’employeur.
A l’issue de cet arrêt de nombreuses questions restent en suspend sur son incidence.
La principale est la suivante : cet arrêt est-il amené à remettre en cause le dogme de la quasi irresponsabilité du salarié à l’égard de l’employeur, au moins en cas de harcèlement moral entre salariés ?
Rien n’est moins sûr en l’état actuel des choses.
Car à ce stade restons certain d’une chose : la plupart du temps l’employeur reste responsable civilement et pénalement des agissements de son salarié harceleur.
Mais les futures décisions de la Cour de cassation en la matière sont à suivre assidument.